Discrétion et observation
C'est en milieu d'après-midi que j'arrive devant une rivière aux eaux translucides. La végétation pompe en cette période et les récentes pluies n'ont pas affecté la clarté de l'eau, il va falloir être discret.
Aucun insecte pour l'instant mais en cette saison estivale la présence d'insectes terrestres peut toujours motiver une truite à sortir.
Je ne vois rien sur les premières centaines de mètres. Je progresse lentement et observe attentivement, mais pas un poisson en vue. En revanche de petits éphémères beiges commencent à émerger çà et là. Bien petits pour décider un poisson à se mettre à table selon moi.
Pourtant, juste en amont d'une fosse encombrée, j'aperçois une large silhouette sous la surface. Je stoppe aussitôt ma progression et prends le temps d'observer. Je n'ai pas rêvé, c'est bien un gros poisson qui est en poste. Des imagos dérivent au dessus de sa tête sans aucune réaction, mais le poisson monte à plusieurs reprises alors que je ne vois rien en surface. La saison est propice, serait-ce des fourmis engluées dans la pellicule ? Je n'en vois pas donc je pense que ce poisson prend bien ces petits éphémères, mais uniquement au stade d'émergentes.
Tout miser sur la première dérive
Vu la taille du poisson et l'arbre dans l'eau situé juste en aval, ce n'est pas le moment de finasser. Je mets une pointe neuve en 15 centièmes. Je noue une petite oreille de lièvre peu fournie et respire un bon coup. Je sais que je n'aurais pas beaucoup d'occasions de ce genre et que la truite ne me laissera pas le droit à l'erreur, il faut que ma première dérive soit la bonne.
Il y a des branches surplombantes, mais le courant est régulier, c'est jouable. Le premier posé est bon, la mouche atterrit en douceur environ 50 cm devant le poisson. Elle dérive et je vois la silhouette qui monte tranquillement et qui gobe lentement mon imitation. Mon cœur bat la chamade, mais je réussis à prendre le temps nécessaire avant de ferrer de manière ample.
La canne est cintrée, la truite se débat en surface. J'en profite pour maintenir une pression forte, récupérer la soie de la main gauche tout en avançant rapidement vers elle, me saisir de l'épuisette et la mettre dedans. Elle y est ! Tout s'est passé comme prévu, le combat n'a duré que quelques secondes et la truite est dans l'épuisette sans avoir eu le temps de comprendre.
Avec l'arbre situé en dessous, c'était la seule chance, si je l'avais laissé prendre un peu de vitesse ce n'est pas un 15 centièmes qui aurait freiné un tel poisson.
Je suis aux anges, cette truite est vraiment magnifique. Une rapide photo sans sortir le poisson de l'eau et le voilà qui a déjà rejoint sa fosse.

Je prends quelques instants pour savourer le moment. Comment de si petits insectes peuvent faire sortir des poissons de cette taille et bien en chair ?
En situation délicate
Je reprends la prospection le cœur léger l'objectif du jour est déjà largement dépassé. Je fais à peine 40 mètres et je n'en crois pas mes yeux, un poisson du même calibre est là, attablé lui aussi sur ces petits éphémères décidément appétissants. Je vérifie mon hameçon et refais mon nœud. Cela me permet d'éliminer les derniers centimètres de ma pointe qui ont été au contact des dents du poisson précédent.
Je prends le temps d'observer le spectacle que m'offre ce poisson qui se nourrit. Aussi d'étudier le coup et le rythme de gobages. Je lance dans le timing. Je ne vois pas où ma petite oreille de lièvre tombe. Je n'ai pas pris le soin de tester sa flottaison et je le regrette maintenant. Je ne quitte pas des yeux le poisson. Je le vois monter et marquer un arrêt juste sous la surface. Je ferre et... c'est au bout ! Quelle sensation quand on n'est pas sûr et que le contact se fait au ferrage.
J'essaie de reproduire le combat précédent mais je trébuche en avançant vite vers le poisson. Je manque de tomber, la ligne se détend un instant et la truite en profite et me fait un rush direction la fosse et son arbre mort. Je tente de brider tant que je peux en dévalant mais la situation est délicate, j'ai maintenant quasiment toute ma soie dehors et je subis. Le poisson ne doit plus être très loin de l'arbre et perdu pour perdu, je bloque en mettant la main sur la bobine. La canne plie et je m'attends à la casse. Mais aujourd'hui, les dieux sont avec moi et j'arrive à la stopper. Un bras de fer s'engage. Le poisson bifurque sur la gauche, vers le milieu de la rivière et je sais à ce moment-là que j'ai fait le plus dur. Je garde une tension très forte et il finit par monter en surface une première fois. Quelques secondes après le voilà dans l'épuisette. Un poisson d'une beauté incroyable. Il possède cette robe caractéristique de la rivière avec très peu de points. Sublime. La mise à l'épuisette s'est faite exactement au même endroit, donc même spot pour la rapide photo.

J'admire sa robe un dernier instant avant de la voir rejoindre son cher arbre.

Je suis sur un petit nuage, et je reste assis à savourer ce moment incroyable que je viens de vivre. Je n'en veux pas plus, j'ai déjà été trop gaté. Même si le jour semble favorable à la sortie des gros poissons, je préfère en rester là et apprécier. Je resterai un bon moment au bord de l'eau à me remémorer ces précieux instants, contemplant les passages des martins-pêcheurs et le spectacle de jeunes gobe mouches dans leur apprentissage de la chasse.
La nature souffre et cette rivière n'échappe malheureusement pas à cette triste réalité. Mais elle est encore capable de nous offrir ces cadeaux incroyables. Merci beaucoup, je n'en demandais pas tant !