Le Sinnamary : hot spot mondial de l'aïmara
Prenant sa source sur la commune de Saint-Elie, le fleuve Sinnamary arpente la forêt amazonienne sur près de 260 km avant de se jeter dans l'Océan Atlantique sur la commune de Sinnamary, dont il porte le nom. Alimenté par diverses criques (ruisseaux amazoniens) qui viennent grossir son cours, il a la particularité d'être rythmé par pléthore de sauts. Ce terme propre à la Guyane, désigne des portions de rapides où les roches sont affleurantes, créant des zones de fortes turbulences qui délimitent des biefs.
Le fleuve se jette ensuite dans lac de barrage de Petit-Saut, bien connu pour son paysage singulier d'arbres morts émergeant de l'eau, vestiges de la forêt primaire qui occupait la zone avant sa mise en eau en 1994. Malheureusement, l'exploitation de ce bois démarrée cette année, à des fins d'apport de biomasse (totalement risible quand on s'intéresse de près au projet) et de revalorisation pour la réalisation de mobilier condamne ce théâtre fantastique.

La plupart des expéditions de pêche démarrent donc au barrage et remontent la rivière jusqu'à certains sauts : saut Takari, saut Dalles, parfois plus haut, suivant la durée de ces dernières. La difficulté est grande. Le franchissement des sauts nécessite le portage des embarcations, parfois sur de longues distances à travers la forêt, limitant naturellement les zones accessibles aux pêcheurs.
Nous avons donc décidé de procéder autrement. Dépose en hélicoptère et descente en kayak sur 10 jours, pour pêcher les zones les moins achalandées et se donner la chance de toucher de beaux poissons, devenus de plus en plus rares à proximité du lac. Une immersion totale dans la nature vouée à l'observation de la faune et à la traque de l'unique prédateur piscicole à hanter ces eaux, faisant de ce fleuve le hot spot mondial pour l'espèce.

10 jours de descente au rythme du fleuve
Ce type d'excursion permet de s'isoler complètement du reste du monde. On est seul, là, face à cette immensité grouillante et étouffante qu'est la forêt amazonienne. Un retour à la nature, loin des hurlements de la civilisation et de la technologie, et ça fait du bien. L'hélicoptère est aussi un bon moyen de rationaliser le barda, de n'embarquer que l'essentiel pour vivre cette aventure de la façon la plus intense qui soit.
Une fois les kayaks et le matériel de bivouac chargé, il ne reste plus la place que pour les affaires personnelles (sac étanche de 40 à 60 L), les affaires de pêche (bakkan ou un sac étanche plus petit) et les cannes, si vous n'avez pas optez pour des modèles de voyage. Le tout doit vous assurer de rester au sec pendant 10 jours.

Lors de la descente, on est amené à changer de camp presque tous les jours, et vos effets doivent donc être organisés de manière à ne pas prendre trop de place dans les embarcations mais aussi vous apporter un certain confort lors de l'installation et du repli. Le recours à des trousses étanches en guise d'organiseurs de voyage est un plus selon moi.
Les journées sont ainsi rythmées par le lever et le coucher du soleil. Les soirées par le repas du soir, à partager un aïmara grillé en écoutant les récits de chacun. Puis vient enfin le repos tant mérité.
Une nature sauvage et un cheptel incroyable
L'avantage d'arpenter ainsi le fleuve en kayak, c'est le silence qui règne dans les embarcations. Il est propice à l'observation et à l'écoute des espèces sauvages qui peuplent le milieu. Vous aurez ainsi le plaisir de pouvoir peut-être observer loutres géantes, tapirs, capybaras, aras d'Amazonie ou autres toucans et d'entendre les singes hurleurs se manifester au petit matin, le tout dans une cacophonie indescriptible due aux milliers d'insectes qui créent un bruit de fond permanent que l'on finit par oublier. La nature se donne à voir à celui qui sait l'observer. Et si vous êtes chanceux, le jaguar se laissera peut-être même apercevoir.

Dans l'eau, c'est une tout autre ambiance. Rien ne laisse présager ce qui se trame en dessous. Le maître absolu ici, c'est l'aïmara. Contrairement aux autres rivières de Guyane qui peuvent héberger des torches tigre, des piranhas voire quelques peacock-bass, ici il y a deux types de poissons : les proies et le chasseur, la machine à tuer par excellence. Embusqués dans les amas chaotiques qui jonchent le fond du fleuve, ils n'attendent que le passage d'une carpe ou d'un petit pacu pour sortir de leurs cachettes. Une proie ou un leurre… Pourvu d'une dentition à faire pâlir n'importe quel poisson d'eau douce, à l'exception peut être du poisson tigre, l'aïmara est un des rares poissons à posséder une membrane qui recouvre la face avant des dents, de sorte que même leurs armes sont camouflées.

On pourrait penser que ces poissons arborent tous la même robe, mais il n'en est rien. En effet, leurs couleurs changent pour mieux se confondre avec le milieu où ils s'embusquent, passant du noir profond des fosses à la couleur clair des bancs de sable, ou encore présentant des nuances de verts et de rouges à l'image des pigments que l'on retrouve dans la terre des berges du fleuve. Et leur densité est tout simplement incroyable. C'est là que l'on voit tout l'intérêt de ces zones protégées et soumises à de très faibles pressions de pêche. Les touches peuvent s'enchainer à des rythmes auxquels nous n'aurions même pas rêver…

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