Le silure, un prédateur naturel diabolisé
Réintroduit en France dans les années 1970 après sa disparition post ère glaciaire, le silure (Silurus glanis) est aujourd'hui une composante à part entière de l'écosystème des grands fleuves. Il a su s'adapter, devenant un prédateur apex dans des milieux déjà perturbés par l'activité humaine.
Omnivore à tendance carnivore, son régime alimentaire est extrêmement opportuniste : poissons blancs, écrevisses, mollusques, amphibiens, oiseaux aquatiques, voire de petits mammifères ou charognes. Toutefois, les études montrent que le silure adapte son alimentation à l'abondance locale de proies. En moyenne, moins de 5 % de son régime est constitué de poissons migrateurs, sauf aux points de concentration artificielle (comme les passes à poissons), où sa prédation peut être localement plus visible, un biais souvent exagéré dans les discours anti-silure.
Contrairement aux idées reçues, le silure ne chasse pas de manière effrénée : son rythme alimentaire est lent et soumis à des cycles saisonniers. Il peut rester plusieurs jours sans se nourrir, et sa croissance ralentit considérablement passé un certain âge. Les grands individus jouent même un rôle de régulateur, notamment par cannibalisme, limitant la surpopulation. À ce titre, leur élimination massive pourrait paradoxalement favoriser une explosion de jeunes silures, plus actifs et voraces.
Mais faut-il pour autant en faire le principal responsable du déclin de ces espèces ?

Un silence gênant sur la pêche professionnelle
« Aucune étude scientifique à ce jour ne permet d'affirmer que le silure est la cause principale du déclin des migrateurs. »
— Rapport du Conseil scientifique du Comité national de la biodiversité (2023)
« L'impact du silure reste secondaire par rapport à celui des barrages, de la pollution et de la pêche. »
— ONEMA (Office national de l'eau et des milieux aquatiques)
Les attaques du silure sur les migrateurs sont souvent observées aux échelles à poissons, points de passage étroits et artificiels. Mais ces attaques mettent surtout en lumière un échec : l'architecture des passes mal conçues, qui ralentit ou piège les migrateurs.
Pendant que l'on s'acharne sur le silure, les chiffres sur les prélèvements humains des espèces migratrices parlent d'eux-mêmes :
- Environ 360 pêcheurs professionnels pratiquent la pêche aux engins (filets, nasses…) sur le domaine public fluvial en France métropolitaine (source OFB).
- Les filets dérivants capturent 5 à 15 tonnes d'aloses annuellement dans les estuaires.
- En 2023, le quota français de civelles (alevins d'anguilles, une espèce classée en danger critique) s'élevait à 8,5 tonnes dans les rivières, et 56,5 tonnes en mer.
- Dans le bassin Loire-Allier, seulement 568 saumons sont comptabilisés chaque année en moyenne depuis les années 2000. L'objectif écologique fixé est de 2 400 individus/an. La pression humaine est telle qu'on est à moins de 25 % de l'objectif de repeuplement (Source : LOGRAMI, 2020).
Et pourtant, ces prélèvements sont non seulement légaux, mais parfois subventionnés ou tolérés au nom de traditions locales. Dans certains cas, les quotas sont même augmentés par décision préfectorale, contre l'avis des scientifiques.
Une hypocrisie de gestion ?
Il est paradoxal d'entendre certains représentants de la pêche professionnelle se poser en défenseurs des migrateurs face au silure, alors qu'ils prélèvent eux-mêmes directement ces espèces, souvent sans distinction ni transparence.
On nous parle de silures, mais ce sont les barrages, les filets et la pollution qui ont détruit les frayères. Le silure n'a fait que s'adapter à un système déjà ruiné.
Plus encore, les campagnes de régulation du silure sont parfois menées avec des moyens démesurés (pêche électrique, abattages, piégeage à outrance comme on a pu voir ces dernières semaines), alors que son exploitation commerciale reste marginale et peu structurée. On tue un prédateur sans même savoir si son élimination sera bénéfique à l'écosystème.
Il faut aussi rappeler que les plus gros silures (souvent visés par ces régulations) jouent un rôle de régulateur naturel par cannibalisme intra-espèce, limitant indirectement leur propre expansion.

Silure : un produit prisé qui transforme la pêche professionnelle
Si longtemps ignoré en France, le silure est désormais valorisé commercialement par de nombreux pêcheurs professionnels – notamment dans les bassins de la Loire, du Rhône, de la Saône et du Doubs. Les données socio-économiques illustrent cette tendance :
- Entre 2002 et 2009, les captures sont passées de 11,9 tonnes à 30,5 tonnes de silures par an, pour une valeur estimée à 182 900 €.
Le prix moyen se stabilise autour de 6 €/kg, variant selon les bassins :
- ~2 €/kg en Loire-Atlantique,
- ~5 €/kg sur la Loire moyenne,
- jusqu'à 10 €/kg sur le Rhône amont-Saône, où les transformateurs vendent des filets prêts à cuisiner
Dans le bassin Rhône-Saône, le silure représente 55 % du chiffre d'affaires des pêcheries continentales, tandis qu'en Loire-Atlantique il pesait jusque-là 2,3 % du CA, soit environ 15 000 €, et seulement 0,1 % sur l'Adour (source lepecheurprofessionel.fr). Mais tout cela risque d'être bien différent en 2025.
Les pratiques de vente en direct (filets sans arêtes) facilitent l'acceptation du silure auprès du grand public, y compris dans la restauration. Les chefs de la Loire, le valorisent en plats raffinés (terrines, carpaccio…). Enfin, dans des bassins comme les étangs ou circuits privés, les pêcheurs pro sont activement sollicités pour réguler la population, ce qui renforce cette filière émergente. Ce succès économique du silure ne se limite plus à la valorisation de nuisibles : il devient une ressource structurée, en pleine expansion, avec ses marchés et ses acteurs (pêcheurs, mareyeurs, chefs) qui transforment un ancien indésirable en opportunité culinaire et économique.
Pourtant, en tant que prédateur de grande taille, à la durée de vie longue et sédentaire, le silure glane est particulièrement exposé à l'accumulation de polluants lipophiles et métaux lourds dans son organisme. Des études menées sur les grands cours d'eau français ont mis en évidence des teneurs significatives en PCB (polychlorobiphényles), dioxines, mercure ou cadmium dans la chair des silures adultes… Pas très rassurant quand on en arrive même à distribuer du silure dans certaines cantines d'école de la métropole.

Restaurer des milieux plutôt que chercher des coupables faciles
L'approche actuelle est biaisée : au lieu d'investir dans la restauration des continuités écologiques, dans la limitation des prélèvements ou dans l'amélioration des passes à poissons, on préfère faire porter le chapeau à un prédateur visible, mais secondaire.
Le vrai débat devrait porter sur :
- La modernisation des passes à poissons.
- La réduction drastique des quotas de pêche commerciale sur les migrateurs.
- La suppression des filets dérivants dans les estuaires sensibles.
- Et un suivi scientifique rigoureux des populations, y compris du silure, pour des décisions fondées sur des données et non des intuitions.
Une diversion politique
Le silure est devenu le bouc émissaire parfait. Sa taille, son comportement de chasseur et sa nature "étrangère" (bien qu'il soit maintenant parfaitement naturalisé) en font une cible idéale pour masquer les défaillances de gestion des fleuves français.
Mais les données sont claires : la pression anthropique (notamment la pêche professionnelle) pèse bien plus lourd que n'importe quel poisson, aussi grand soit-il.
Dans ce débat, défendre le silure, ce n'est pas ignorer ses impacts. C'est refuser la simplification, et rappeler que les fleuves n'ont pas besoin de coupables, mais de restaurations et de courage politique.
On espère seulement que la FNPF, représentée par Mr Claude Roustan tiendra ses promesses quand elle déclare « 𝑳𝒂 𝒅𝒐𝒄𝒕𝒓𝒊𝒏𝒆 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝑭𝑵𝑷𝑭 𝒆𝒔𝒕 𝒔𝒊𝒎𝒑𝒍𝒆, 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒏𝒆 𝒔𝒐𝒎𝒎𝒆𝒔 𝒑𝒂𝒔 𝒇𝒂𝒗𝒐𝒓𝒂𝒃𝒍𝒆𝒔 𝒂̀ 𝒖𝒏 𝒄𝒍𝒂𝒔𝒔𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒏𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏𝒂𝒍 𝒅𝒖 𝒔𝒊𝒍𝒖𝒓𝒆. […] 𝑺𝒊 𝒖𝒏 𝒂𝒓𝒓𝒆̂𝒕𝒆́ 𝒅𝒆 𝒄𝒍𝒂𝒔𝒔𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒅𝒖 𝒔𝒊𝒍𝒖𝒓𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒂 𝒍𝒊𝒔𝒕𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒆𝒔𝒑𝒆̀𝒄𝒆𝒔 𝒔𝒖𝒔𝒄𝒆𝒑𝒕𝒊𝒃𝒍𝒆𝒔 𝒅𝒆 𝒑𝒓𝒐𝒗𝒐𝒒𝒖𝒆𝒓 𝒅𝒆𝒔 𝒅𝒆́𝒔𝒆́𝒒𝒖𝒊𝒍𝒊𝒃𝒓𝒆𝒔 𝒃𝒊𝒐𝒍𝒐𝒈𝒊𝒒𝒖𝒆𝒔 𝒆𝒔𝒕 𝒑𝒓𝒊𝒔 𝒑𝒂𝒓 𝒍𝒆 𝒎𝒊𝒏𝒊𝒔𝒕𝒆̀𝒓𝒆, 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒂𝒕𝒕𝒂𝒒𝒖𝒆𝒓𝒐𝒏𝒔 𝒄𝒆𝒕 𝒂𝒓𝒓𝒆̂𝒕𝒆́ ».