Le silure : un régulateur au service des écosystèmes

Gardien plutôt qu’ennemi de la biodiversité ? Une vision qui lui donne le sourire. © Emilien Feron

Souvent montré du doigt comme une espèce envahissante, le silure glane est en réalité bien plus qu'un simple géant des rivières. Derrière son image de prédateur redouté, se cache un rôle écologique majeur, celui d'un véritable architecte de l'équilibre aquatique. . Et si le silure n'était pas l'ennemi de la biodiversité, mais au contraire l'un de ses gardiens ?

Le silure, influenceur de la chaîne alimentaire

Le silure glane (Silurus glanis), souvent perçu comme une menace pour nos rivières pour celui qui ne l'étudie pas, est en réalité un acteur écologique majeur.

Ce géant, est un super-prédateur dont le rôle dépasse largement la simple consommation de proies : il structure et régule les écosystèmes aquatiques. Contrairement aux idées reçues, sa présence ne se résume pas à un déséquilibre, mais peut au contraire renforcer la biodiversité et soutenir les carnassiers intermédiaires. En tant que super-prédateur, il est capable d'influencer toute la chaîne alimentaire et participe même à la lutte contre certaines espèces invasives

Le rôle trophique d'un super-prédateur

Un super-prédateur occupe le sommet de la chaîne alimentaire et exerce une influence déterminante sur l'ensemble du réseau trophique. Le silure illustre parfaitement cette fonction. En se nourrissant de carpes, de brèmes ou encore de barbeaux, il limite la domination de ces espèces qui tendent parfois à s'imposer en biomasse. En réduisant leur poids écologique, il libère de la place pour d'autres espèces plus petites et diversifie ainsi les équilibres.

Cette régulation se traduit par un effet en cascade : les poissons fourrages tels que les gardons ou les rotengles, moins concurrencés, deviennent plus abondants. Or, ces petits poissons constituent une ressource essentielle pour l'alimentation des carnassiers comme la perche, le sandre ou le brochet. Ainsi, par son action indirecte, le silure favorise le développement de ces carnassiers et soutient l'équilibre global de la communauté piscicole.

À cela, s'ajoute son rôle sanitaire, puisqu'il cible souvent les individus affaiblis ou malades, ce qui contribue à assainir les populations de proies et à maintenir leur vitalité.

Un monstre peut être pas si monstrueux !
Un monstre peut être pas si monstrueux !

Une plasticité alimentaire au service de l'équilibre

Toutes les études scientifiques montrent que le silure ne se limite pas à un type de proie et qu'il fait preuve d'une étonnante plasticité alimentaire. Dans le lac du Bourget par exemple, des analyses récentes ont révélé qu'il consommait aussi bien des écrevisses que des perches ou des rotengles, mais également des poissons pélagiques ou benthiques. Chaque individu adapte son régime en fonction de son environnement, ce qui témoigne d'une capacité d'adaptation remarquable.

Dans le lac Majeur, en Italie, les silures s'attaquent par ailleurs à des espèces exotiques comme les écrevisses américaines ou les bivalves Corbicula, participant ainsi à la régulation d'invasifs qui bouleversent souvent les écosystèmes. Cette diversité alimentaire montre que le silure ne se contente pas d'exploiter les proies les plus abondantes, mais qu'il s'intègre dans la dynamique complexe du milieu qu'il occupe.

Un allié contre les déséquilibres

Parce qu'il occupe une place centrale dans la chaîne alimentaire, le silure agit comme un régulateur écologique de premier plan. Sa présence prévient la surpopulation de certaines espèces dominantes, favorise l'équilibre entre poissons fourrages et carnassiers et contribue indirectement à la diversité piscicole.

Son action rappelle celle des grands prédateurs terrestres, comme le loup dans les forêts ou les prairies, dont le rôle ne se résume pas à la prédation mais s'étend à une réorganisation de l'ensemble de l'écosystème. Par sa simple présence, le silure incarne ce même principe de cascade écologique appliqué au monde aquatique.

L'effet de cascade trophique, démontrée par le projet « Life Predator ».
L'effet de cascade trophique, démontrée par le projet « Life Predator ».

Favoriser l'effet de cascade trophique

Un exemple concret de cette approche régulatrice est observable dans le bassin de l'Elbe, en Allemagne. Dans certaines sections de ce fleuve, des silures glanes ont même été réintroduits volontairement pour contrôler la surpopulation de brèmes communes, leur principal régulateur naturel. Ces lâchers ont été menés dans des zones où le silure est autochtone mais avait fortement décliné à cause de la pêche professionnelle et de la pollution, afin de restaurer un équilibre naturel.

Les observations post-introduction montrent une régulation notable des populations de cyprinidés dominants et une meilleure disponibilité pour les poissons fourrages au profit aussi des autres carnassiers, illustrant concrètement l'effet cascade que peut avoir le silure lorsqu'il occupe pleinement son rôle écologique.

Mieux comprendre pour mieux valoriser

Cette fonction essentielle est au cœur d'un projet européen dénommé  « LIFE PREDATOR », lancé en 2022 pour une durée de cinq ans avec un budget de 2,85 millions. L'Italie, le Portugal et la République Tchèque collaborent pour étudier précisément l'impact du silure sur la biodiversité aquatique.

Loin de chercher à diaboliser l'espèce, ce programme vise à mieux comprendre son rôle, à mesurer ses effets sur les écosystèmes et à fournir des clés de gestion adaptées aux différents contextes. Ce projet souligne qu'il n'est plus pertinent de réduire le silure à une simple menace. Il représente au contraire une opportunité de réévaluer la place des super-prédateurs dans les milieux d'eau douce et de réfléchir à leur contribution à la résilience écologique.

Un rôle dépendant du milieu

Il convient cependant de nuancer le tableau. Le rôle régulateur du silure dépend fortement du contexte écologique dans lequel il évolue. Dans un grand fleuve riche en espèces et en habitats diversifiés, sa présence contribue clairement à structurer et à dynamiser les communautés piscicoles. Mais dans un plan d'eau plus restreint et fermé, il peut devenir trop dominant et exercer une pression excessive sur les ressources disponibles, surtout les premières années d'implantation, où l'explosion de population survient avant même de jouer le rôle de régulateur sur sa propre espèce.

Enfin, la composition du peuplement initial influe également sur leurs effets. Là où les cyprinidés sont en surnombre, le silure agit comme un régulateur efficace, tandis que dans un milieu déjà fragilisé, son impact peut être plus contrasté. Cette variabilité montre que son influence est contextuelle et qu'elle doit être évaluée au cas par cas et ne pas faire de généralité dans un sens comme dans l'autre.

Aleviner certains milieux en silures : une solution ?
Aleviner certains milieux en silures : une solution ?

Dépasser les préjugés

Loin d'être un intrus destructeur, le silure glane est avant tout un régulateur essentiel de nos milieux aquatiques. En tant que super-prédateur, il contribue à limiter la domination de certaines espèces, à favoriser le développement des carnassiers, à contrôler des invasifs et à maintenir la santé des populations. Son rôle est cependant conditionné par le milieu dans lequel il s'installe, ce qui impose une analyse fine pour comprendre pleinement son impact.

Les recherches en cours et les projets européens comme LIFE PREDATOR rappellent qu'il est temps de dépasser les préjugés : le silure est une pièce maîtresse du puzzle complexe de la biodiversité aquatique, dont la présence mérite d'être comprise et valorisée plutôt que crainte.

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