Interview / Anne-Cécile Monnier : "l'état d'une rivière est le reflet du monde dans lequel on vit."

© Anne-Cécile Monnier

Anne-Cécile Monnier est hydrobiologiste et a décidé depuis une dizaine d'années de plonger avec appareil photo et caméra pour rapporter sur la terre ferme des témoignages de la vie subaquatique.  Nous l'avons rencontrée afin qu'elle nous parle de son métier, de l'eau et des poissons.

Bonjour Anne-Cécile, merci d'avoir répondu présente ! Peux-tu dans un premier temps te présenter aux lecteurs de Pêche.com Magazine ?

Anne-Cécile Monnier – Bonjour à tous, je suis ravie de pouvoir partager mon travail et ma passion au fil de ces quelques lignes. Tout d'abord, je suis originaire de Lorraine où j'ai réalisé mes études dans la gestion des milieux aquatiques et des ressources en eau dans le cadre d'un Master 2 à l'Université de Metz. Mon premier stage m'a amenée sur le bassin du Rhône où j'ai suivi les aloses feintes du Rhône pendant quelques mois. C'est assurément à ce moment que je suis tombée amoureuse du métier d'hydrobiologiste et des poissons.

En quoi consiste ton métier d'hydrobiologiste au quotidien ?

Anne-Cécile Monnier – Le concept de base de ce métier est l'étude de la vie des rivières. En ce qui me concerne, je me suis spécialisée dans l'étude des poissons d'eau douce et au départ dans l'étude de l'impact des barrages et des obstacles à l'écoulement sur les poissons migrateurs (aloses et anguilles notamment) et des plus petits migrateurs comme le brochet ou la truite par exemple. J'ai ensuite travaillé plusieurs années pour différents bureaux d'études dans le Sud de la France, puis en Bretagne pour travailler sur les anguilles de la Loire où l'on procédait entre autres au marquage de civelles (jeunes anguilles ndlr) et à leur suivi pour évaluer la croissance de ce poisson en milieu naturel. Enfin, je suis revenue quelques années en Lorraine où j'ai de nouveau travaillé sur plusieurs études d'impacts sur la Meuse et les affluents de la Seine, et je suis aujourd'hui basée en région parisienne.

Tu fais partie du microcosme des « rapporteurs d'images sous-marines en eau douce » en France. D'où t'es venue cette envie de plonger, de passer de l'autre côté du miroir ?

Anne-Cécile Monnier – Au quotidien le métier d'hydrobiologiste c'est beaucoup d'observation sur le terrain et c'est dans ce contexte que j'ai commencé à plonger, en snorkeling (palme, masque et tuba), pour aller repérer de potentiels nids de Lamproies marines, ou observer le blocage des aloses feintes au pied des barrages par exemple. Je me suis rendue compte qu'il y avait énormément de choses à mettre en valeur. Mon père m'a alors offert un petit compact étanche qui m'a permis de faire mes premières images il y a dix ans maintenant. Étant donné l'intérêt que mon entourage portait à ces images j'ai réalisé que l'image sous-marine était un bon moyen de faire le lien entre ce qui se passe sous l'eau, le monde scientifique et le grand public. Tout s'est finalement bien organisé pour que je puisse combiner une approche à la fois scientifique mais également artistique.

Peux-tu nous parler de ton association « Reflets d'eau douce », de ses objectifs, et des actions que tu mènes par le biais de cette association ?

Anne-Cécile Monnier – L'objectif de l'association « Reflets d'eau douce » est de communiquer sur la biodiversité d'eau douce auprès du grand public. De 2014 à 2019, je me suis mise à mon compte en hydrobiologie, ce qui m'a permis de développer ce projet qui me tenait à cœur. Initialement « Reflets d'eau douce » était un site internet que j'ai créé pour pouvoir partager des articles sur l'hydrobiologie ainsi que mes photos. Progressivement, l'envie de partager avec le public s'est faite de plus en plus forte et nous avons alors décidé avec d'autres passionnés de mettre sur pied l'association « Reflets d'eau douce » en 2015 à travers laquelle sont mis en place des projets pédagogiques dans les établissements scolaires, des conférences ou encore des expositions photographiques. Depuis quelques années je réalise également des films documentaires à destination des acteurs de l'eau.

Brochet, vallée de la Meurthe, avril 2019.
Brochet, vallée de la Meurthe, avril 2019.

Le fait d'avoir glissé de la photographie vers le documentaire n'a rien de surprenant, néanmoins ce sont deux disciplines très différentes. Quel a été l'élément déclencheur ?

Anne-Cécile Monnier – Tout est parti d'un passionné de pêche, aujourd'hui devenu mon ami, Pierre Pommeret, à l'époque Responsable Technique à la Fédération de Pêche de Meurthe et Moselle à Nancy. Connaissant mon travail photographique, il m'a demandé de réaliser un film pour valoriser les actions en cours en matière de restauration des frayères à brochet sur la rivière Moselle. Pendant un an j'ai tourné des images mettant en avant ce travail réalisé par les 3 fédérations de pêche qui gèrent la Moselle française. Un très gros projet pour lequel il a fallu que je me forme directement sur le terrain ! Tout s'est très bien déroulé et j'ai eu par la suite d'autres propositions de films et notamment un suivi de deux ans sur les brochets de la Meuse suite à une étude de marquage et de suivi comportemental. (Les films sont en ligne sur la chaîne YouTube « Reflets d'eau douce » ndlr).

Depuis tu as parcouru du chemin puisqu'en plus des commandes de films par des Fédérations de Pêche tu as réalisé des films pour Seasons ou Ushuaïa TV notamment.

Anne-Cécile Monnier – Pour Seasons, nous avons écrit avec Pierre Pommeret un film sur l'arrivée des gobies en France, depuis le bassin du Danube. Nous avons voulu aller à la rencontre des pêcheurs afin de recueillir leurs expériences, leurs questions, leurs observations mais également celles des scientifiques qui étudient ces gobies depuis plusieurs années à l'Université de Lorraine, et nous avons entre autres fait intervenir l'Office Français pour la Biodiversité (OFB). C'est un 52 minutes pour la télévision qui vise à apporter des réponses aux pêcheurs et surtout mieux connaître ce poisson, être capable de le différencier du chabot (le gobie possède une ventouse ventrale, par la fusion de ses deux nageoires pelviennes), de distinguer les 4 espèces de gobies présentes, de comprendre comment elles sont arrivées en France (par les eaux de ballast des péniches !) et de savoir ce que l'on peut faire pour limiter leur propagation. À ce jour en 2020, le gobie est considéré en France comme poisson exotique que l'on peut remettre à l'eau uniquement sur son lieu de capture et que l'on n'a pas le droit de transporter vivant, ni d'utiliser comme appât ! De prochaines diffusions du film sont prévues dès le 4 novembre 2020 sur la chaine Seasons.

Le gobie d'eau douce ou la ruée vers l'Ouest.
Le gobie d'eau douce ou la ruée vers l'ouest.

Concernant mes projets avec Ushuaïa Tv, il s'agit cette fois d'une série incarnée dont le principe est de suivre une hydrobiologiste photographe subaquatique sur des rivières méconnues en Outre-Mer. Avec Anthony Binst, le réalisateur, nous avons fait un premier épisode à Tahiti à la rencontre de ses anguilles sacrées, poissons pouvant faire jusqu'à 20 kg pour 2 m de long ! Je suis allée à la rencontre des riverains et des scientifiques pour comprendre comment cette anguille est protégée, non pas par une loi mais par une croyance, la légende de l'anguille sacrée… Le film a été diffusé sur la chaîne Ushuaïa Tv cet été et d'autres diffusions sont prévues ces prochains mois.

Anguille sacrée de Tahiti. © AC Monnier - Les films en vrac Productions
Anguille sacrée de Tahiti. © AC Monnier - Les films en vrac Productions

L'objectif du Réseau MEL'EAU, à l'instar de ton travail dans son ensemble, est de faire prendre conscience de l'absolue nécessité de préserver les milieux aquatiques mais ici la stratégie pour y parvenir est singulière. Peux-tu nous en parler ?

Anne-Cécile Monnier – A travers l'association « Reflets d'eau douce » j'interviens dans les écoles un peu partout en France et en Outre-mer lors de mes tournages. Nous avons, avec mon homologue Aurélie Grondin rencontrée à la Réunion en 2014, développé le Réseau MEL'EAU qui met en correspondance des classes entre la métropole et l'Outre-mer sur des projets classe d'eau. Les élèves apprennent à découvrir la biodiversité de leurs rivières dont ils vont faire un exposé qu'ils présenteront en visioconférence à leurs correspondants. L'objectif est de faire prendre conscience que les milieux de chez nous sont uniques et précieux et qu'il est absolument nécessaire de les préserver. On poursuit en développant ce programme sur d'autres territoires. Après la Guyane il y a 2 ans, c'est la Polynésie française qui a rejoint le projet cette année.

Classe d'eau en Polynésie française dans le cadre du Réseau MEL'EAU.
Classe d'eau en Polynésie française dans le cadre du Réseau MEL'EAU.

Quels sont tes projets pour le futur ?

Anne-Cécile Monnier – Ils sont nombreux ! Beaucoup d'évènements prévus pour la diffusion de mon livre « Sous la surface, rencontres au cœur de nos eaux douces » sorti en 2019, et la poursuite de plusieurs tournages de films en cours. Par ailleurs, je souhaite continuer de développer le Réseau MEL'EAU à d'autres territoires.

Quelle serait ton message pour les rivières de demain ?

Anne-Cécile Monnier – À travers tous les usages de l'eau, qu'il s'agisse des pratiques agricoles, de l'utilisation et des rejets domestiques ou industriels, de l'aménagement du territoire, de l'urbanisation et de l'imperméabilisation ou l'assèchement des sols, de l'apport de nouvelles espèces d'autres continents, tout cela a un impact sur le milieu aquatique. La rivière recense tous ces problèmes. L'état d'une rivière est en quelque sorte le reflet du Monde dans lequel on vit.

Aussi, nous aurions besoin de nous intéresser davantage à l'aspect qualitatif de la rivière. À notre époque, et parce que nous traversons de plus en plus fréquemment des périodes de sécheresse, nous sommes focalisés sur la quantité d'eau disponible mais la quantité et la qualité de l'eau sont intrinsèquement liées.

Merci Anne-Cécile !

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