Interview / Frédéric Bonnet, Directeur des Ventes Sensas : "La filière Pêche est très impactée"

© Sensas

A l'approche du déconfinement nous avons voulu recueillir le témoignage de Sensas, société française historique pour ce qui est de la pêche en France et dans le Monde. M. Frédéric Bonnet, Directeur des Ventes, a eu la gentillesse de répondre favorablement à notre demande d'interview.

Bonjour M. Bonnet, merci de prendre de votre temps pour répondre à quelques questions. Pouvez-vous en premier lieu retracer l'historique de la société Sensas ?

Frédéric Bonnet - Sensas, avant de devenir la société que tout le monde connaît, puise ses origines dans la fabrication d'huile. Après la Seconde Guerre mondiale, en 1948, mon grand-père a racheté le moulin du Pont-Tranchefêtu à Fontenay-sur-Eure en Eure-et-Loir, et l'a transformé en huilerie pour produire à petite échelle de l'huile de colza, de tournesol et de maïs.

Le démarrage de l'activité pêche via la fabrication d'amorce s'est fait au début des années 1960 au moment où la grande distribution a émergé via l'apparition massive de grandes enseignes comme Carrefour notamment. Le marché de l'huile est par conséquent devenu concurrentiel. Il fut alors décidé de diversifier l'activité en valorisant le sous-produit de la fabrication d'huile, à savoir les tourteaux. Les tourteaux servaient jusque-là à l'alimentation animale, mais via l'addition de biscuits, biscottes, chapelures, cocos belges et coprah nature ils furent alors transformés en amorce. C'est de là qu'est partie l'entreprise Sensas, en 1963. Par la suite, dans les années 1975-80, le frère et la sœur de mon père ont intégré l'entreprise et l'ont fortement développée.

Arrivée de Jean Desqué chez Sensas en 1986

Il y a eu plus tard l'arrivée de Jean Desqué puis l'apparition de Starbaits et enfin le développement de la partie Carnassiers.

Frédéric Bonnet – Effectivement, une étape importante correspond à l'arrivée de Jean Desqué, grande figure de la pêche au coup, en 1986. Cela nous a permis de développer considérablement le pôle compétition. Sensas peut se targuer d'avoir à ce jour glané plus de 50 titres de Champion du Monde et d'être le sponsor N°1 des grandes équipes étrangères de pêche au coup telle que l'Angleterre, la Belgique, la Hongrie, l'Espagne et bien sûr la France en ce qui concerne l'amorce.

Puis, dans les années 1990, l'entreprise Sensas se tourne vers la pêche de la carpe en créant la marque Starbaits avec à sa tête Jean-Marc Lebreton, Biologiste de formation, qui n'a cessé de développer depuis lors, en collaboration avec son équipe de carpistes, toute une gamme de produits reconnus sur le marché faisant de Starbaits un des leaders français et européens dans la fabrication d'appâts avec des produits phares tels que les bouillettes DEMON ou SK30 par exemple.

La gamme DEMON, des produits phares de la marque Starbaits

Une autre étape importante de la vie de la société correspond à la vente, en 2002, de l'entreprise familiale et son rachat par Hugues Nello (actionnaire majoritaire et actuel PDG de Sensas), Jean Desqué, Christophe Decourty et moi-même.

La même année Sensas s'engage dans l'univers de la pêche des carnassiers en créant Illex, une marque premium dans la pêche aux leurres, puis rachète la marque historique Pezon et Michel en 2003 et crée enfin la marque Gunki en 2010.

Pouvez-vous nous parler de la conception des produits de la société Sensas ?

Frédéric Bonnet – L'intégralité des produits de la société Sensas, toutes marques confondues, sont conçus et développés en interne dans notre société française en partenariat avec les Chefs de Produits de chaque marque. Thomas Vogels pour Illex, Jérôme Riffaut pour Gunki/Pezon et Michel (en partenariat avec Frédéric Jullian jusqu'à la fin 2019 avant que ce dernier ne quitte la société), Jean-Marc Lebreton pour Starbaits et Jean Desqué, Christophe Noualhier et Alexandre Caudin (Champion de France en titre de pêche au coup en individuel) pour la marque Sensas, regroupant la pêche au coup, la pêche au Feeder et le carpodrome.

A noter, l'arrivée de Gaël Even, pêcheur français de renom, il y a deux ans. Gaël est venu renforcer le département Carnassiers de son expertise et travaille en partenariat étroit avec les Chefs de Produits Illex et Gunki.

Gaël Even, Ambassadeur pour les marques Illex et Gunki

Une partie des produits Illex est de conception japonaise, ce qui fait de cette marque un cas singulier au sein de l'entreprise ?

Frédéric Bonnet – La situation de la marque Illex est un peu à part, il est vrai. Il faut distinguer trois cas de figures. Nous avons tout d'abord un accord de partenariat avec la firme japonaise Jackall pour la distribution de certains produits que Thomas Vogels et son Prostaff adaptent aux besoins du marché français et plus largement, européen. D'autre part, cette même équipe, composée de M. Vogels et son Prostaff, va développer en collaboration avec Jackall des produits propres au marché français comme ce fut le cas avec le Arnaud par le passé ou plus récemment avec les différentes séries de Tricoroll par exemple. Enfin, de nombreux autres produits Illex sont pensés, conçus et développés en France comme les séries Scream Series ou Magic Series par exemple.

Aspe pris sur un Tricoroll Ryushin Illex 

Qu'en est-il de la fabrication des produits ?

Frédéric Bonnet – Il faut tout d'abord savoir qu'il ne reste qu'une seule usine de fabrication, celle du Pont-Tranchefêtu, sur les trois que la société comptait auparavant  en France, Belgique et Pologne. Dans l'usine française sont fabriqués les amorces, les bouillettes, une grande partie des pellets ainsi que les additifs.

Par ailleurs, les flotteurs de pêche au coup sont fabriqués pour la plupart en Italie et en Europe. Les produits hauts de gamme comme les cannes sont fabriqués au Japon et en Corée du Sud et le reste des produits, en Chine.

Aviez-vous perçu des signes avant-coureurs de cette crise ?

Frédéric Bonnet – Disons qu'en 2019 nous avions avancé à fin novembre, au lieu de janvier habituellement, les voyages des différents Chefs de Produit afin de coller au mieux avec le calendrier de développement et cela dans le but de nous permettre de pouvoir développer des produits en 2020. Nous sommes donc passés entre les mailles du filet, si je puis dire, plus que nous n'avons véritablement anticipé la situation.

Comment avez-vous géré la crise en interne lorsque le confinement a été prononcé ?

Frédéric Bonnet – Nous ne pouvions pas fermer l'entreprise du jour au lendemain, ne serait-ce que parce qu'il fallait que celle-ci soit prête pour le jour où les choses reprendraient leur cours normal. Le confinement a été prononcé le lundi 16 mars 2020 au soir et nous avons fermé l'entreprise le mercredi 18 mars 2020 avec mise au chômage partiel de toute la production, la logistique et la partie commerciale.

Et concernant l'activité de la société, tout a été mis à l'arrêt ?

Frédéric Bonnet – Non, à partir du lundi 23 mars 2020, nous avons mis en place du télétravail pour les cadres (Chefs de Produits, Comptabilité, le Recouvrement Fournisseurs, les Ressources Humaines) et avons repris une petite activité logistique début avril, car tous les pays n'ont pas été confinés en même temps. Il faut savoir que 50% des ventes de Sensas sont réalisées à l'exportation. La Suède, la Hollande, la République Tchèque, le Danemark, une partie de l'Allemagne, la Pologne, l'Ukraine étaient encore « ouverts ». Des clients de ces pays avaient des commandes en cours, il a donc fallu en assurer les livraisons. Par ailleurs, certaines plateformes de e-commerce, en France notamment, devaient être livrées elles aussi.

À partir du 15 avril, la majorité de ces pays ont été confinés et depuis le 4 mai, certains sortent du confinement comme l'Autriche, la Belgique, l'Allemagne par exemple. Nous jonglons avec cela.

Comment avez-vous géré les relations avec les fournisseurs ?

Frédéric Bonnet – Nous avons fait une réunion avec le service Achats, Bernard Levêque (Responsable Commercial), Christophe Decourty (Responsable Marketing et Communication), Hugues Nello (PDG) et moi-même (Directeur des Ventes) afin de faire le point sur les statuts des différents produits, car certains sont en cours d'acheminement alors que d'autres sont bloqués (et seront donc retardés) du fait de la mise à l'arrêt de l'activité en Chine durant 6 à 8 semaines. Il nous fallait statuer ce qu'il était important de faire rentrer au plus vite afin de limiter au maximum le très fort impact de la crise sur l'activité. Dès le mois de mars 2020, 70% des produits étaient déjà livrés du fait de la saisonnalité forte du secteur de la pêche. Les livraisons de produits « d'investissement » sont classiquement effectuées entre les mois de décembre et avril. Reste néanmoins que les livraisons de mars et avril, qui représentent 2 très gros mois, n'ont pas été honorées pour la plupart. Les mois de juin, juillet et août concernent principalement les livraisons de consommables.

Hugues Nello, PDG de la société Sensas, mais également le président du GIFAP (Groupement des Industries Françaises d'Articles de Pêche) a envoyé un signal fort aux détaillants en lançant une pétition de soutien à ce réseau. Comment avez-vous managé les relations avec vos clients et notamment les détaillants ? 

Frédéric Bonnet – Effectivement, les détaillants d'articles de pêche sont nos premiers interlocuteurs. Nous sommes donc restés autant que possible en contact avec eux pendant cette période.

Concernant la pétition initiée par Hugues Nello celle-ci n'est arrivée que dans un troisième temps, car avant cela, une première lettre écrite par M. Nello avait été envoyée à Bruno Lemaire puis une seconde au Premier Ministre afin de les alerter sur le fait que l'économie de la pêche en France était fortement impactée par la situation, bien plus que la chasse par exemple. La crise est arrivée en fin de saison pour cette activité, contrairement à la pêche où nous entamions à peine l'activité de l'année… Mars, avril et mai sont les 3 mois où les gens consomment le plus de la pêche sur une année.

Comment envisagez-vous le futur suite à la prise de parole du gouvernement jeudi 7 mai 2020 ?

Frédéric Bonnet – Le loisir pêche reprend, les magasins rouvrent, c'est une très bonne chose après huit semaines de confinement. Les commerciaux vont de nouveau appeler les magasins et nous allons pouvoir reprendre les livraisons. Par ailleurs, la fabrication d'appâts et de bouillettes va reprendre elle aussi dès lundi 11 mai, en équipe restreinte.

Pour terminer cet échange, auriez-vous un message à adresser à nos lecteurs ?

Frédéric Bonnet – J'encourage les gens à prendre soin d'eux et à aller pêcher, mais également à soutenir les détaillants et sites français ainsi que les marques françaises !

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