Interview / Mise en place de la maille inversée du silure par la Fédération du Rhône : quels enjeux ?

Après la fenêtre de capture du brochet en janvier 2019 puis celle du sandre en janvier 2021, la Fédération de Pêche du Rhône a de nouveau communiqué sur la mise en place de la maille inversée sur le silure, règlementation effective depuis le 1er janvier 2020 sur certains secteurs du département. L'occasion pour Peche.com de faire le point avec Jean-Pierre Faure, Directeur Technique de la Fédération de Pêche du Rhône.

Petit rappel chronologique

En 2016, dans un contexte où le suivi des captures de silures par la Fédération de Pêche du Rhône laissait entrevoir une possible baisse de la population de silures alors que dans le même temps les pêcheurs professionnels souhaitaient le faire classer nuisible, la Fédération de Pêche du Rhône a entrepris de traiter ce qui reste encore à ce jour la plus grosse base de données constituée sur le comportement du silure dans son espace naturel, à savoir, les données recueillies au cours des trente dernières années par Jean-Claude Tanzilli (guide de pêche et spécialiste du silure). De cette collaboration est ressortie une étude publiée en juin 2016 permettant une meilleure compréhension des comportements du silure.

L'installation du silure dans le bassin du Rhône : bilan de trois décennies de suivi de l'espèce

« Nous faisons des études sur les prises des pêcheurs depuis 10 ans. En 2016, nous avons fait le constat que les prises de silures étaient de plus en plus rares, que ce soit à la ligne ou en pêche électrique. On s'est alors demandé si ce que nous constations était représentatif. Suite à cette observation, et parce que les pêcheurs professionnels demandaient que le silure soit classé nuisible, nous avons traité les données de Jean-Claude Tanzilli dans le but d'avoir des informations pour alimenter le débat au niveau national. Le traitement de ces données a permis de confirmer ce que nous constations localement. » détaille Jean-Pierre Faure.

Effectivement, après la phase d'explosion de l'espèce dans les années 90, s'ensuit une phase de régression et de stabilisation de la population de silures du fait de la régulation des plus petits sujets par les plus gros.

Mise en place de la maille inversée en janvier 2020

Cette nouvelle réglementation consistant à ne prélever que les poissons de taille inférieure à 1,70 m, prise par arrêté préfectoral en janvier 2020, a été mise en place sur le lac des Eaux Bleues (lac faisant partie du complexe Miribel-Jonage) ainsi que sur une portion du Rhône dans le centre de Lyon, s'étalant du barrage de Pierre-Bénite jusqu'au seuil de Saint-Clair, en aval du périphérique lyonnais. Les objectifs de la mise en place de cette réglementation sur le silure sont multiples.

Préserver les grands poissons

La Fédération du Rhône avait à cœur de mettre en place une réglementation en cohérence avec l'étude menée en 2016 sur les données de Jean-Claude Tanzilli qui mettaient en évidence qu'à partir d'1,70 m les silures devenaient cannibales et avaient un impact fort sur leur propre espèce.

« Tous les éléments que nous avions en notre possession montraient en 2016 que ce sont sans doute ces grands poissons qui agissent comme des régulateurs de leur propre population en prédatant les plus petits géniteurs entre 50 cm et 1 m. Ces gros poissons étant à la base de la régulation de l'espèce, le but est donc de conserver cet équilibre qui a mis plus de 40 ans à se mettre en place. » précise Jean-Pierre Faure.

Lutter contre la destruction volontaire et les abandons de cadavres

La Fédération du Rhône est par ailleurs confrontée à des abandons de cadavres de grands silures par des pêcheurs sur certains sites et notamment sur le lac des Eaux Bleues, ce qui, outre le fait de fragiliser l'équilibre des populations, pose des problèmes sanitaires.

« Même si cela est une infraction au titre du Code Rural, avant la mise en place de cette réglementation, seuls les agents de l'ONCFS, n'étant malheureusement pas sur le terrain pour le faire, étaient habilités à sanctionner ces infractions. Cette nouvelle réglementation permet dorénavant à nos gardes d'intervenir au titre de l'obligation de remettre à l'eau les poissons de plus de 1,70m, s'ils constatent ce type d'infraction. » explique Jean-Pierre Faure.

Préserver l'halieutisme

« D'un point de vue halieutique, ce sont les grands silures qui sont le socle du développement de la pêche sportive du silure. L'intérêt de les préserver est logique. »

Susciter la réflexion

Il est bien souvent compliqué de communiquer sur le silure. A travers la mise en place de la maille inversée sur ce poisson, la Fédération de Pêche du Rhône entend également interpeller les pêcheurs.

Jean-Pierre Faure explique que « la taille maximale de capture n'a jamais été utilisée en France. Nous avons là une mesure qui fait cogiter les pêcheurs qui la découvrent. "Pourquoi cette réglementation particulière qui n'existe pas sur les autres poissons ?" » et poursuit en estimant que « le débat sur cette espèce, très simpliste et clivant, évolue peu à peu. Globalement, les tensions s'apaisent au niveau des pêcheurs, malgré la parution régulière de quelques communications tout à fait dignes de la presse à scandale... La pêche du silure reste une pêche limitée en nombre de pratiquants, même pour un département comme le nôtre, et nous avons un devoir d'objectivité. Il ne serait pas de notre intérêt de favoriser 10% des pêcheurs, que représentent les pêcheurs de silure, au détriment des 90% restants en adoptant une mauvaise gestion de cette espèce. » 

Vers un élargissement de la mise en place de cette règlementation ?

Lorsqu'on interroge Jean-Pierre Faure sur la possibilité qu'une telle réglementation voit son aire d'application élargie, la réponse est sans équivoque : « Ce serait cohérent sur les axes Saône, Rhône et les grands plans d'eau attenants. Si nous pouvions avoir l'accord de toutes les parties prenantes à la gestion de la pêche, nous souhaiterions généraliser la mise en place de cette réglementation. Celle-ci a en tout cas des utilités multiples et l'importance des gros poissons est claire aussi bien du point de vue écologique, halieutique que pédagogique. »

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